2042
L'année dernière
Sven, Sven, Sven...Quatre lettres, insignifiantes et se confondant aux quelques œuvres parant les murs du manoir. Des œuvres à son image, froides, sordides, faites de sang et de larmes, pitoyable reflet de la laideur de son âme damnée. Plus rien d'humain ne persiste en lui, alors dis-moi pourquoi tu acceptes de le laisser te toucher ? Ne te méprends pas, je ne suis ni jaloux ni dégoûté, je cherche juste à te comprendre. Il te dit qu'il t'aime, qu'il te respecte, que jamais il ne te fera de mal ? Mais dis-moi Nikolaï, est-ce qu'il te laisse la possibilité de te refuser à lui ? Te laisse t-il la possibilité de dire non ? Toi et moi, nous connaissons la réponse. Il est le maître, toi l'esclave. Il te domine et tu t'exécutes, pour rester en vie, peut-être aussi, parce-que dans le fond, il n'est plus vraiment ton ennemi. Tous les animaux de compagnie se laisse caresser, à ceci près que lui, ne devrait pas oublier que tôt ou tard, ceux-ci finissent toujours par mordre la main qui les nourrit. Quand te retourneras-tu contre lui ? Quand comprendras-tu que ta liberté n'a pas de prix ? Tu n'es plus seul, je suis là, je veille sur toi, de loin, dans l'ombre de tes peurs.
Des bruits de pas, chut, écoute et observe…
2042, l'année dernière
5 mois avant d'être fait prisonnier
Un verre de trop, une mauvaise appréciation de la situation, un mauvais coup et la fin de tout. Souvent, je repensais à cette nuit au cours de laquelle les événements avaient pris une tournure que jamais auparavant je n'avais envisagé. J'étais un bon élément, un enfant de la Rébellion, c'était en son sein que j'avais fini de me construire et que j'étais devenu un homme. Grâce à tous mes frères et mes sœurs d'armes, je m'étais trouvé. Si je connaissais les risques ? Comme chacun d'entre-nous. A partir du moment où l'on acceptait de suivre les règles du jeu, nous savions tous que nous risquions de tomber. Je n'avais juste pas mesuré tous les enjeux, comme celui d'être fait prisonnier au lieu d'être tué.
Une nuit si semblable à toutes les autres en apparence et pourtant, si fondamentalement différente. Une soirée un peu trop alcoolisé, j'avais abusé. De tout et de rien à la fois, le pub regorgeait de nectars prohibés pour l'addict que j'étais. Une manière comme une autre de compenser, quoi ? Vous voudriez le savoir je suppose, seulement, je craignais de ne pas avoir envie de vous en parler. On avait tous une face cachée, est-ce que je vous demandais moi de me faire un compte rendu de vos états d'âmes. C'était tellement plus facile de sourire, plus naturel aussi. Je disais donc, une partie de chasse un peu trop alcoolisée qui avait mal tournée. C'était délirant de constater combien le fait d'avoir l'esprit embrumé, pouvait proférer un improbable sentiment d'invulnérabilité. J'étais jeune et en totale possession de mes moyens, alors en toute objectivité, je vous le demandais, qu'avais-je à redouter ? J'étais le chasseur pas la proie, armé, si durement formé et entraîné, et pourtant...Je ne gardais que des souvenirs épars et diffus de ce qui m'avait réellement conduit entre les murs du Manoir de McGuiness, souvent, j'en rêvais. Me réveillant en sueur et sans repères. J'avais beau chercher, je n'arrivais pas à reconstituer le puzzle. Des pièces me manquaient, à force de me poudrer le nez, il ne fallait pas s'en étonner. J'avais merdé et pas qu'un peu, putain, qu'est-ce que ça me faisait chier. Je ne pouvais pas le nier, j'avais certainement beaucoup de défauts, mais pas celui de me défiler.
Alors voilà où j'en étais…
Je me rappelais avoir quitté l'Irish pub pour rejoindre la Fondation, As m'attendait. Mon mentor, mon formateur, le seul homme en qui je pouvais avoir une confiance aveugle. Lui seul savait quel mal me rongeait, celui d'un gosse qui face à la souffrance des siens et qui incapable de surmonter sa propre détresse, ressentait le besoin de compenser à l'aide de substances qui dépassaient le stade du récréatif. Si je retraçais mon parcours, il me semblait avoir eu envie de faire un détour par le QG des Ternaïs Sectis. Histoire de m'échauffer avant de partir en chasse, brillante idée. Je le faisais souvent ceci étant dit, mais la chance était une amante des plus volages. Un jour elle ne voyait que vous et le lendemain, elle vous abandonnait. J'étais à pieds et ne disposant pour seul moyen de défense que de mon épée, parce-que oui, le seul moyen d'envoyer en enfer ces saloperies de chauves-souris aux ailes brisées, c'était de les décapiter. Ensuite, ensuite...Je crois que j'avais été pris dans un embuscade, j'en étais certain en fait. Je les revoyais tous ces connards surgissant de l'obscurité, dissimulés à intervalles réguliers dans les vapeurs de mon ivresse, avançant tous d'un pas afin de m'entourer. Me prenant au piège comme un débutant, fâcheux contretemps qui n'en finissait plus. Extirpant mon arme de son fourreau, je crois bien que je leur avais souri. Pas par politesse, ni par empathie, non juste pour le plaisir de leur signifier combien je les emmerdais. Je ne craignais ni Dieu ni la mort, et tournant sur moi-même, je les avais compté. Un, deux...cinq...dix...Un détail que je ne cessais de ressasser. Je n'aurais pas dû les provoquer et encore moins leur porter la première attaque. Qu'est-ce que je m'étais imaginé ? Que l'humain que j'étais, seul et momentanément isolé, serait en mesure de faire le poids face à une horde enragée de sangsues ? Je n'eus pas l'occasion de pleinement leur donner la mesure de mes capacités, que je me retrouvais couché au sol. Solidement maintenu à leur merci par deux d'entre-eux tandis que les autres me passaient à tabac pendant que je me débattais, poussé par cette haine viscérale que leur race m'inspirait. Crachant du sang et sentant mes forces me quitter, un linceul noir me recouvrait.
«
La mort, mon fils, est un bien pour tous les hommes ; elle est la nuit de ce jour inquiet qu'on appelle la vie »...
Henri Bernardin de Saint-Pierre.
Inquiet, je l'avais été en m'éveillant dans un cachot humide et aux murs recouverts de vermine. La tête au bord de l'implosion et le corps douloureux. Mes vêtements étaient déchirés, mon visage marqué par les coups que l'on m'avait donné. Sans doute des côtes brisées, mais par dessus tout, cette peur incontrôlable qui m'avait pris. Me violant avant l'heure, m'incitant à tirer sur les chaînes reliées aux bracelets en ferraille rouillée qui enserraient mes poignets et me faisant prendre conscience que ce qui m'attendait désormais était un milliers de fois plus terrifiant que ce repos éternel auquel je n'étais résolument pas pressé de goûter. Il était beau le Rebelle, fort, courageux et se moquant de l'adversité. Mais il n'y avait pas de honte à faire preuve de faiblesse n'est-ce pas ? Le plus important étant de se relever, toujours, avec plus de rage et de conviction. Je mettais promis de tenir le choc et de sortir grandi de cette épreuve. Pour eux, pour moi, pour toi. Nous n'étions pas des pantins, nos cœurs battaient, nous méritions le respect. Pour chaque larme que je verserais, l'un de ces monstres périrait. Marcher ou crever, ce n'était pas plus compliqué. Je respirais pour notre liberté, je résistais pour tous ceux qui avaient capitulés, je me le devais, pour ne pas le décevoir, lui, mon point d'attache, lui pour qui je m'accrochais, lui qui viendrait me sauver. Le tout, sans honneur ni gloire, cédant petit à petit un peu plus de terrain à la fatigue et ne tenant la distance que grâce au soutien que j'étais parvenu à trouver.
Après, seul l'avenir me dirait ce qu'il me réservait…
Cinq mois déjà, cinq moi que j'encaissais sans broncher, cinq mois que ma Maitresse me soumettait à sa volonté. Perverse et sans pitié, m'abusant, me frappant, me réduisant au rang d'objet. Entre ses mains, je devenais un morceau de viande sans identité. Mais peu importait le calvaire que j'endurais, peu importait ces moments de découragement qui me faisait chialer quand personne ne me regardait, je refusais de me résigner. Libre j'étais né, libre je crèverais, je me foutais du reste. Je ne regrettais rien, ni mes choix ni l'existence que j'avais mené avant de rejoindre la liste des disparus. Parce-que c'est ce que nous étions dans le fond, des âmes perdues. Et toi, quand ouvrirais-tu les yeux ? Toi, un humain Partisan, que j'avais pris sous ma protection et qui me faisait perdre le nord. Tu étais le premier homme qui m'attirait et j'ignorais s'il s'agissait d'un simple besoin de me sentir utile ou bien de quelque chose de beaucoup plus difficile à accepter au vu de toutes ces différences qui nous séparaient…
2042
L'année dernière
Des bruits de pas, chut, écoute et observe…
Des vampires, des putains de suceurs de sang se congratulant d'être les maîtres du monde descendent les marches et les voyant arriver, je me suis rapidement dérobé sous un escalier. Puis, ma bombe de peinture à la main, j'ai souri en les entendant s'offusquer du sigle que je viens de taguer. Une ode à leur grandeur, misérables raclures que les entrailles de la terre ont recrachées. C'est bien notre veine, à nous autres, simples mortels. Comme si nous n'avions pas assez d'emmerdes sans ajouter à notre peine des facteurs que certains se plaisent à qualifier "d'extraordinaires". Chacun son truc tu me diras, après tout, se fait mordre qui veux. Pour ma part, les marques que je porte à mon cou ne sont ni volontaires ni désirées. Jetant un coup d'oeil circulaire autour de moi, j'ai constaté que par chance, aucun autre humain que moi ne se trouve à proximité. Ce qui signifie que je peux me permettre de rester à couvert sans risquer de mettre en danger une autre existence que la mienne. Si j'aime les sensations que me procurent mes montées d'adrénaline, je sais que d'autres préfèrent éviter les ennuis. Comment les blâmer ? Une âme d'artiste n'est pas faite pour mourir sur un champ de bataille tout comme celle d'un homme de paix. Alors pour ceux là, je veux encore espérer…
2034
Huit ans plus tôt
Dix-huit ans à peine et la tête pleine de rêves. L'Irlande ne devait être que la première étape d'un long roadtrip. À travers toute l'Europe, j'avais prévu de voyager, de découvrir de nouvelles moeurs, de rencontrer les gens, d'apprendre tout ce que j'ignorais. Seulement, avant, je voulais voir de mes propres yeux ce nouvel Eldorado qu'était sur le papier River Crow. Une ville prospère au sein de laquelle nul ne connaissait la pauvreté, une ville qui à contrario des autres, ne connaissait ni guerre ni misère, une ville à laquelle le monde entier enviait son développement économique et social. Publicité mensongère, pour ceux qui comme moi y avaient cru, seul le sentiment d'avoir était trompé, persistait. Mais une fois enfermé entre les murs constituant son enceinte, aucun humain ne pouvait plus en réchapper. Assassiné, violenté, battu et humilié, réduit à l'esclavage, tel était la destiné des nouveaux résidents fraîchement arrivés.
Bien vite, je prenais mes marques. Remarquant que certains individus ne paraissaient guère apeurés, allant jusqu'à rechercher la compagnie des vampires. Quoi, j'ai oublié de vous mentionner ce détail ? Les vampires existent, Dracula n'est pas un mythe, ça craint, je sais. D'accord, je vous concède que les suceurs de sang sont beaucoup moins glamours que dans les séries débiles que je regardais. Plus sauvages, moins torturés, s'abreuvant de sang sans en éprouver le moindre regret et surtout, kidnappant à tour de bras des humains pour en faire leurs choses. C'est glauque dit comme ça, mais croyez-moi, le vivre, ça l'est encore plus. Là-dessus, je décidais d'en savoir plus et tandis que tous les êtres sensés rentraient chez eux à la nuit tombée, moi je sortais arpenter les rues. Sans craintes, sans doutes, sans me sentir pour autant supérieur et au détour de l'une des allées serpentant le parc, j'assistais à une scène qui faisait naître en moi une flamme que rien n'avait plus su éteindre. Aindreas An Sionnach oeuvrait au nom de cette liberté que moi aussi je voulais servir. Devenir un soldat de la paix et de l'humanité, je m'exaltais. Les nuits suivantes, j'étais revenu, dans l'espoir de le recroiser. Une semaine qu'il m'avait fallu patienter, sauf que cette fois-ci, je ne m'étais pas laisser gruger. Jouant les têtes brûlées, je l'avais suivi jusqu'à la Fondation. Le sous-estimant quelque peu puisque je n'avais pas fait illusion très longtemps. Me retrouvant avec la lame de son épée sous la gorge, je crois pouvoir affirmer que notre premier contact avait été plutôt musclé. C'est de cette manière qu'entre-nous, tout avait débuté. Les jours suivants, nous nous étions revus. Cet homme était loin de ressembler à tous ceux qu'il m'avait été donné de rencontrer jusqu'à lui. Si fier, profondément humain et habité par ses convictions. De lui, j'avais tout appris, le bon comme le mauvais. Ce fut donc à l'abri de sa protection qu'il m'enseignait ce que je devais savoir à propos de la Rébellion comme du combat acharné que les siens menaient contre les Partisans du vampire se tenant à la droite de Caïn. Grâce à lui, je donnais un nouveau sens à mes jeunes années et c'était à corps perdu que je m'élançais dans ses traces. Au prix de sacrifices que je ne me pensais pas capable de faire et renonçant aux miens. Faisant le deuil de ma famille pour m'en inventer une nouvelle.
Dix-huit ans et assis sur une chaise, je sentais sa seringue transpercer ma peau. J'avais accepté de lui rendre tout ce qu'il m'avait donné, j'avais signé et enfin, mon passeport pour l'autre côté du miroir m'avait été délivré. Mille fois j'avais cru échouer, mille fois ce dernier m'avait relevé, m'aidant à me dépasser, à toujours repousser mes limites. Faire abstraction de la douleur, apprendre à résister, à ne jamais trahir, même sous la torture. Les poisons qu'il injectait dans mes veines me faisaient dérailler, je m'entendais encore hurler sans pour autant le supplier de tout arrêter. Dans ces moments là, je me demandais ce qui m'avait pris de dire oui, me repassant en boucle le protocole, je cherchais ce qui m'avait paru si fascinant dans tout cela. Avez-vous déjà eu l'impression que tous vos organes se tordaient dans votre corps, que votre sang entrait en fusion et qu'une fièvre insatiable vous dévorait ? Je ne voulais pas mourir, pas si vite, pas comme ça. Les jours se succédèrent, variant mes plaisirs entre des expériences de mort imminente et des phases de repos de plus en plus douloureuses. Je ne parvenais pas à récupérer, et lorsque l'eau s'alliait à l'électricité pour me faire expier des râles étouffés, je sombrais. Une loque humaine, voilà à quoi je ressemblais. Vulnérable, fragile et pourtant, m'endurcissant au fil de ses supplices. Qui mieux que lui, mon bourreau, pouvait savoir ce que j'étais capable de supporter ? Dois-je continuer à vous raconter ? Nombre d'entre-vous y sont passés, nombre d'entre-vous se tiennent à mes côtés, vous aussi vous avez senti vos pupilles se dilater à la vision des pinces se rapprochant de votre visage. Ta langue ou tes orteils ? Préférerais-tu être défiguré avec de l'acide ou brûlé par la flamme d'un chalumeau ? Au final, seul mes ongles m'avaient été arrachés et des serpents entre mes cuisses s'étaient glissés. Leurs morsures me hantaient et pour cause, si j'avais su, si j'avais vu. Funeste présage que les écorchures faites à mes poignets par les chaînes ayant servi à m'asservir. Le passé était devenu mon futur, As, quand viendrais-tu me chercher ? Incapable de dire durant combien de temps tout cela avait duré, des jours, des semaines, je ressortais de là entièrement déphasé mais empli de fierté.
Tourne, tourne, tourne la terre. Se lève le soleil…
2036
Six ans plus tôt
Deux ans s'écoulèrent, deux ans sous sa tutelle. Lui mon ami, qui à bout de souffle, m'avait porté. Le maniement des armes, le combat au corps à corps, comment décapité, comment tuer, comment ne pas basculer, comment ne pas franchir la ligne invisible nous différenciant de ces autres que nous n'étions pas. Telles avaient été ses prérogatives, parfaisant mon apprentissage en me rappelant que nous n'étions pas des meurtriers mais simplement des hommes épris de liberté. Toujours et encore cette notion, plus qu'un mot, elle était mon unique religion. Ses convictions étaient devenues les miennes et je saurais me rendre digne de la confiance qu'il m'accordait.
Vingt-ans et enfin un Rebelle à part entière. Sans rencontrer de problèmes majeurs, je m'intégrais facilement au reste de cette armée forgée dans de l'acier tant sa volonté de vaincre été inébranlable. De bonne compagnie, je contaminais les autres avec ma bonne humeur communicative et à ce stade, j'arrivais à compartimenter mes opinions sur les vampires. Comme de partout, il y avait des pourritures et ceux qui valaient la peine d'être respectés. Même si ça me collait la nausée que des morts puissent continuer à marcher comme si de rien n'était. Sérieux, ça n'était pas équitable cette merde d'éternité…
2042
L'année dernière
Alors pour ceux-là, je veux encore espérer…
Fugace instant de répit, le ciel a grondé, bientôt, la Rébellion mettra à mal l'ordre établit. Bientôt, mes chaînes comme les tiennes, seront brisées. Les cent-ans du règne de Léandre McGuiness sonneront le glas d'une époque révolue. Partisans et Opposants s'affronteront et de mes propres mains, celle qui me fait souffrir l'enfer périra. Je me le promets, tout comme de ne pas tomber avant d'avoir accompli cette mission pour laquelle je suis fait. Rien n'est jamais facile, parfois moi aussi je me dis que tout est perdu d'avance, pourtant, je refuse d'abandonner. Pour toi, pour ce nous qui n'existera peut-être jamais.
La voie se dégage, je quitte mon abri de fortune pour finir ce que j'ai commencé…
2037
Cinq ans plus tôt
Seul ou en groupe, je faisais mes preuves. Aucune chasse ne se ressemblait, aucun dérapage inconsidéré ne m'était autorisé, parce-que si ma vie dépendait des autres, la leur relevait tout autant de ma responsabilité. Vivre ensemble ou mourir seul, aucun compromis ne m'était donc permis. De cette période, je ne gardais pas de grandes impressions, si ce n'était que son arrivée à la Fondation avait tout bouleversé. Mon équilibre comme mes priorités. Sur son passage, Arya avait tout balayé. Ravissante jeune femme dont la lueur dansant au fond de ses grands yeux m'avait ensorcelé. Il y avait quelque chose en elle qui m'avait immédiatement attiré, à tel point qu'elle n'avait plus de cesse de me trouver sur son chemin. Je me foutais qu'elle soit plus jeune que moi, les trois ans qui nous séparaient ne revêtaient à mon sens en rien un obstacle, au contraire. Alors, à partir de ce moment là, je faisais en sorte de me taper l'incruste dans son entourage immédiat. Toutes les occasions étaient bonnes, ne lui concédant aucun avantage, je faisais mes armes. Je n'avais pas vraiment d'expérience, mais je ne demandais qu'à apprendre. Tomber amoureux en revanche, ne m'enthousiasmait pas plus que de raison. Au départ, je voulais juste la séduire, pour le plaisir de goûter à ses lèvres. Roses, charnues, plus belles que la septième merveille du monde. Un appel à la luxure et pourtant, notre premier baiser me laissait un goût amer. Il ne s'agissait pas d'une passade, je le savais. J'aurais sans doute pu prendre la fuite, mettre des distances entre-nous, au lieu de cela, je me perdais. M'attachant et acceptant mes sentiments. Après tout, à vingt et un ans, on avait le droit de croire que tout était encore possible. Loin d'être fleur bleu, je la poussais à rapidement entrer dans le vif du sujet. L'amour platonique n'était pas fait pour moi et les courbes de son corps, beaucoup trop attrayantes pour ne pas être explorées.
Notre relation dura quelques mois, puis les battements de mon coeur cessèrent de battre…
Une chasse au vampire, une balle perdue, la mort m'entraînant dans son sillage. Parfois, il m'arrivait encore de sentir l'impact du tire et je me revoyais m'effondrer sur l'asphalte. Le froid, le sang s'échappant d'entre mes lèvres et de mon nez, mes paupières papillonnantes et ses larmes. Elle que j'aimais, elle a qui cette nuit là, j'avais fait mes adieux. Me réveillant branché à des machines, quelque chose en moi s'était brisé, plus rien ne serait pareil et je gardais avec moi le souvenir de son regard à lui. Aindreas...Je me rappelais de sa main tenant la mienne et de ses traits tirés. Je me rappelais de la larme qui était venue rouler sur ma joue en apprenant que je n'étais pas le seul à me retrouver dans un état critique. Suite à cela, deux d'entre-nous succombèrent à leurs blessures, un autre fut retrouvé mort sur les lieux de notre altercation et moi, je ne m'en sortais pas si mal. Mis à part la douleur physique et cette colère dont je voulais à tout prix me défaire. Ce n'était pas moi, je ne voulais pas et c'est idiot, mais tout se que je voulais vous cacher, est en train de se dévoiler. Pour palier à tout ce qui me rongeait, je commençais à boire, la cocaïne ne venant que peu de temps après.
Tourne, tourne, tourne l'astre lunaire. Le soleil se couche…
2042
L'année dernière
La voie se dégage, je quitte mon abri de fortune pour finir ce que j'ai commencé…
D'habitude, je me contente simplement de taguer des inscriptions anti-vampires, du genre, à mort les suceurs de sang, McGuiness sur le bûché, la Rébellion vaincra. Sauf que cette fois-ci, j'ai eu envie d'innover un peu. Il a de la gueule mon pentacle quand même, j'espère que la sorcière qui me possède appréciera ma dédicace. Je la méprise, tout en elle me dégoûte et je ne préfère pas vous décrire les sévices que je dois subir pour satisfaire ses appétits. Reculant d'un pas, j'ai observé mon oeuvre une dernière fois, avant de disparaître dans les couloirs. En cinq mois, j'ai eu le temps de visiter tout le Manoir. Je sais comment m'orienter sans jamais me faire voir. Cela me permet d'entendre des choses qui intéressent fortement les vampires infiltrés. Dont Elijiah, un irakien qui a une fâcheuse tendance à se prendre pour se qu'il n'est pas. Mais je sais que sa survie dépend de ses talents de comédien et je ne lui souhaite pas de se faire démasquer. Après tout, s'il est là, c'est parce-qu'il se trouve du bon côté de la barrière. Lui n'est pas responsable de ce qui m'arrive, je dirais même que sa présence m'apaise, puis il me fournit en clopes, alors je crois pouvoir affirmer que dans une certaine mesure, je l'apprécie à sa juste valeur…
De 2037 à 2042
Un concentré d'années
Filait le temps, implacable et sans jamais se retourner sur ceux qui désespérément le poursuivaient. J'avais l'impression de courir au ralenti, le visage d'Arya lentement s'effaçait, je n'étais plus l'homme qu'elle avait aimé. Mon sourire se faisait plus grave, au fond de mes yeux, se reflétait ma candeur passée, pour rien au monde je ne voulais oublier. La vengeance, le besoin d'exorciser tous mes maux, l'enfant n'était plus, il s'était éteint dans cette chambre d'hôpital aseptisée. Je ravalais ma rancoeur pour ne pas les laisser gagner, eux ces putains de vampires que je maudissais. J'enfouissais ma fragilité pour devenir un élément fiable et sans failles. Tirant une croix sur ma vie privée, renonçant à exister en dehors de la Rébellion. Abandonnant mes droits pour ne plus avoir que des devoirs, faisant de cette liberté tant convoitée ma seule maîtresse. Fidèle et me donnant la force d'avancer, toujours plus loin, toujours plus fort. Frappant avec une redoutable efficacité nos ennemis, faisant fi de toute notion de pitié, je n'aimais pas tuer mais la faim justifiait les moyens. Je ne serais plus leur victime.
Jamais, jamais, jamais…
Rien que des foutaises...Un verre de trop, une mauvaise appréciation de la situation, un mauvais coup et la fin de tout...Je me retrouvais. Laissant ressurgir ce jeune homme de vingt-six ans que j'étais...M'éveillant dans un cachot humide et aux murs recouverts de vermine...Il me fallait accepter de suivre ce mouvement qui m'arrachait à ma réalité. Sans le savoir, tu m'y aidais Nikolaï. Voulais-tu que je te confie avoir grandi à San Francisco, au sein d'une famille aimante ? Que ma mère était une américaine et qu'elle a rencontré mon père, un mexicain lors d'un voyage en terres inconnues. Ils se sont plus, se sont aimés, se sont mariés. Mon père à obtenu son visa et je suis né. Mon enfance fut paisible et classique. J'étais un gamin presque comme les autres, m'épanouissant entre deux cultures, mais terriblement indiscipliné. A l'école, je m'ennuyais, au lycée, j'intégrais l'équipe de football américain en devenant quarterback pour me défouler. Cependant, le deal ultime entre mes parents et moi, se résumait à "obtient d'abord ton diplôme et ensuite on verra". On verra quoi ? Je l'avais eu, je m'étais accroché, ni brillant ni mauvais, je m'en sortais honorablement et j'obtenais leur approbation pour mon voyage en Europe. Bouclant mon sac, je me tirais. Sans un sous en poche et avec un puissant sentiment d'indépendance chevillé au coeur. Mon horizon ne se limitait plus qu'au ciel, dommage que je n'ai pas entendu le tonnerre retentir, là-bas, ici, et faisant la sourde oreille, j'avais tout quitté.
Trois moi que je te connais, trois mois que je ne pense plus qu'à buter ton enfoiré de Maître. Trois mois que tu me donnes une raison de continuer à me battre et que je garde informé les infiltrés sur ce qui se trame. Tu vois, ma peau, je la risque déjà…
2042, l'année dernière
Cinq mois plus tôt, juste après ma capture
Du fond de mon cachot, j'essayais de rester connecté à l'extérieur pour ne pas devenir cinglé. Le manque de cocaïne et d'alcool, me torturait plus que tout le reste. Tremblant, fiévreux, avec cette anxiété latente qui ne me lâchait plus. J'avais l'impression de crever à chaque mouvement que je faisais, j'avais mal de partout, les douleurs abdominales qui me pliaient en deux me collaient la nausée et je vomissais. N'arrivant pas à dormir pour me reposer, j'écoutais le moindre bruit, reconnaissant le moindre frémissement, serrant les poings lorsqu'un esclave était malmené. Les murs laissaient tout passer, du cliquetis des clefs tournant dans les verrous gardant les portes de nos cachots fermés, en passant par les cris de ceux que l'ont prenaient par la force, pour finir par des sanglots étouffés. Je les haïssais tous autant qu'ils étaient, eux, tous ces vampires âgés de plusieurs siècles qui nous imposaient leur loi. Alors mieux valait qu'ils me gardent sous leur joug, parce-qu'à la moindre occasion, je ferais ce qu'il faut pour en supprimer au moins un ou deux avant d'être abattu. Comme c'était beau de délirer, parce-que quand cette femme était venu me chercher, je n'avais même pas esquissé le moindre signe d'hostilité. Non, j'avais préféré garder cela pour des jours meilleurs et lorsqu'elle s'était approchée de moi, s'abaissant à ma hauteur pour effleurer mon visage du bout de ses doigts, je l'avais laissé faire. La suivant docilement jusqu'à ses appartements après qu'elle ait demandé que l'on me libère afin de prendre possession de ce qui lui appartenait. Tenant à peine debout, qu'aurais-je pu faire de plus que de jouer la comédie de l'humain déjà dompté ? Rien, enfin, je ne le pensais pas.
La première chose qui me fut demandé, fut d'aller prendre une douche. Ca m'avait fait tellement de bien de sentir l'eau chaude caresser ma peau, de sentir mes muscles se décontracter et quand mes jambes me lâchaient, je n'essayais pas de me relever. Me disant qu'elle, ma Maîtresse, viendrait me chercher si cela lui déplaisait de me voir m'attarder et abuser de sa pseudo hospitalité de merde. Mais à la place, cette dernière fit preuve d'une patience qui me coûta extrêmement chère. Lorsque je la rejoignais, nu et épuisé, j'avais compris pourquoi son choix s'était porté sur moi. Sans préavis, sa main vint se poser entre mes cuisses. Tester la marchandise avait-elle dit, seulement, mon corps restait sans réactions et sous l'agacement, elle m'avait giflé. Une gifle qui lui en avait valu une, je n'étais pas disposé à me laisser humilier sans riposter. Le retour de flamme ne se fit guère attendre et usant de sa supériorité physiologique, elle m'avait violemment poussé sur le lit. J'avais cru halluciner, me demandant comment elle comptait s'y prendre pour me baiser si je refusais de coopérer. Là-dessus, elle s'était jetée sur moi pour me mordre avant de se dénuder, venant se frotter contre moi comme la pire des traînées. Perdant tout sang froid en s'apercevant que rien n'y faisait et de rage, elle se mettait à me frapper. M'interdisant toute riposte et me privant de mon libre arbitre en m'obligeant à avaler du GHB pour me stimuler. Une faible dose provoquait une relaxation musculaire et désinhibait celui qui en consommait. Plus de pudeur, plus de retenue, je me sentais subitement durcir contre ma volonté, la drogue m'excitait.
Je ne sais plus si ça a duré une minute, une heure ou toute une journée. Quand je me suis réveillé, je découvrais sur la table de nuit une bouteille de whisky et un sachet de cocaïne. En récompense de mes services avait-elle dit, pour seule réponse j'avais tout rendu dans ses draps. Ca n'allait pas, je venais de me faire violer, ni plus ni moins. Le premier viol d'une longue série, toujours plus brutaux les uns que les autres et reposant sur des refus continus. Je lui disais non, je résistais, n'ayant jamais d'autre choix que de lui céder sous l'effet des drogues qu'elle m'obligeait à ingérer, se souciant peu de savoir que la combinaison du GHB, de la cocaïne et de l'alcool risquait de me provoquer un brutal arrêt respiratoire, faisant de moi un homme en sursis. Je supposais que ses propriétés aphrodisiaques valaient tous les sacrifices, y compris celui de ma vie. Finalement, j'obtenais des vêtements, rien de très seyants, quelques jeans, des boxers, des pulls tous simples et une veste en laine avec des dessins incas dessus. Je conservais aussi ma montre, mes bracelets et mes colliers, puis je bénéficiais de la permission de sortir à ma guise, de toute façon, où pouvais-je aller ? Toute tentative d'évasion se serait soldée par une mort certaine, de ce fait, je préférais continuer à ne pas y songer. Attendant sagement ou presque, que l'on vienne me chercher, mais vite, je n'étais pas sûr d'avoir la volonté nécessaire pour ne pas flancher. Sur un plan égoïstement personnel, cela allait de soi, lui savait que pour rien au monde je ne parlerais…
2042, l'année dernière
Quelques mois plus tard
Je marchais dans les couloirs du Manoir, méprisant ouvertement chaque suceur de sang que je croisais, vacillant par moment et prenant appui contre les murs au hasard. La fatigue, les sévices qu'il me fallait supporter et mes nuits d'insomnie, ne m'aidaient pas tellement à retrouver mon chemin. Je manquais de lucidité, les deux derniers mois m'avaient parus interminables et si je commençais à remonter la pente, le résultat n'était pas encore probant. Pourtant, si je zonais sans but apparent, la réalité était tout autre. Quelques jours auparavant, j'avais réussi à rencontrer un infiltré. Un Irakien, Elijiah. Je l'avais croisé à la Fondation, mais je n'avais pas eu jusqu'ici l'occasion de lui parler. De ce fait, j'entendais bien connaître dans les moindres recoins cette foutue baraque pour me rendre utile. En plus, il avait été sympa ce con en me refilant un paquet de clopes et de quoi taguer. Les infos que je parviendrais à réunir lui serait d'une grande utilité, à lui et à tous les autres. Tous ceux qui gardaient un oeil sur nous, humains et qui par la force des choses, appartenaient à notre famille. Celle de l'humanité, par conséquent, il n'était pas acceptable que je me trouve des excuses. Je n'échouerais pas, je ne le pouvais pas, j'avais besoin de continuer à lutter. Aussi, je m'obstinais à croire que demain serait un jour meilleur, que demain j'aurais récupéré et qu'au pire, je prendrais une double dose de coke pour me secouer.
Le lendemain, comme je l'avais si réalistement supposé, rien n'allait mieux. A ceci prêt que j'avais décidé de me reprendre en main tout seul puisque personne ne le ferait à ma place. Mon tout premier acte de rébellion fut donc de taguer sur un mur des signes anti-vampires. Parfaitement explicites pour être certain que tous ces connards se brûleraient les yeux en les lisant. A condition qu'ils sachent lire et rien n'était moins sûr. La connerie ne pouvant que s'accentuer avec les siècles, je doutais qu'ils comprennent la symbolique du message que je leur envoyais. Ce fut ce matin là que je découvrais ton existence Nikolaï, toi qui ne quittait plus mes pensées. C'était moche le destin, le tien beaucoup plus que le mien. Tu respirais l'innocence, enfin, c'est de cette manière que je te percevais. Passant à mes côtés, j'avais senti ton regard me couver et me retournant, je t'avais souri. D'un sourire te dévoilant ma jeunesse et ma part de fragilité, d'un sourire qui devait te faire comprendre que j'aimais ce que je voyais, d'un sourire qui te traduisait silencieusement tout le trouble que tu m'inspirais. Avant toi, aucun homme n'avait fait battre mon coeur plus vite, mais d'ici à savoir ce que cela signifiait, ça me paraissait un peu précipité. Tu sais quoi ? J'avais tout de suite vu que tu n'étais pas de ceux qui allaient rapporter à leur Maître à quels genres d'activités les autres esclaves s'adonnaient. Il fallait bien se divertir un peu non ? Il n'y avait pas de mal.
Les semaines suivantes, tu étais venu me rejoindre de manière régulière. Tu savais où me trouver et je devais avouer que je t'attendais. Tu étais ma bouffée d'oxygène et je me mettais en tête de te protéger. Pour toi, pour moi, pour redonner un peu de consistance à ce néant qui nous aspirait. Puis, à côté de cela, je prenais plaisir à voir tes joues s'empourprer, je jouais de mon charme parce-que oui, je savais que je ne te laissais pas indifférent. Il fallait que tu saches que tu n'étais pas obligé de te soumettre à ton Maître, que tu avais aussi le droit de choisir ce qui te paraissait être le mieux pour toi et qu'il n'y avait aucun mal à se battre pour sa liberté. Je voulais t'ouvrir les yeux sur tes conditions de détentions. Tout comme moi, tu étais retenu prisonnier, Sven ne t'aimait pas, Sven se foutait de toi. Te manipulant en prononçant des mots qui entre ses lèvres de créature perfide et assoiffée de sang, perdaient tout leur sens. Est-ce que je valais mieux que lui ? Oui, parce-que même si je m'amusais en te tournant autour, mon comportement cachait d'autres choses plus profondes. La preuve t'en avait été donnée lorsque te voyant en proie à une gêne qui m'embarrassait autant que toi, mes lèvres étaient chastement venues enrober les tiennes. Tu n'imagines pas le choc que ça m'avait fait en me rendant compte que je trouvais cela agréable. Tu étais mon premier baiser avec un homme, mais ça, tu ne pouvais pas le deviner et je préférais. Si je voulais aller plus loin avec toi, je partais du principe que je devais me montrer accessible sans pour autant faire étalage de ma vulnérabilité sur le plan intime. C'était digne du plus crétin des machos de bas-étages, mais ma connerie me faisait marrer.
Attirance basique, ou sentiment amoureux ? Je n'en savais rien. En attendant que je sache, est-ce que tu voulais bien ne pas le laisser faire de toi un objet sans éclat ? S'il te plaît, ne le laisse pas te prendre ce que tu es, un garçon adorable et qui dès la première seconde a su me toucher…
2042
L'année dernière
je crois pouvoir affirmer que dans une certaine mesure, je l'appréciais…
L'heure est venue, je dois rejoindre ses appartements. Pas après pas, le coeur au bord des lèvres et battant à un rythme effréné. J'ai peur d'elle, j'ai peur de me retrouver couché sous son corps surplombant le mien, j'ai peur de ne plus rien maîtriser et d'encore être violé. Ca craint pour un mec de dire ça, ça me révulse et me tire vers le bas, m'enfonçant lentement sans être certain de pouvoir remonter. Aide-moi, donne-moi le courage de lui cracher à la gueule, Nikolaï...Tu es là, arrivant de l'autre côté du couloir, mais nous ne sommes pas seuls. Gardant les yeux baissés, j'effleure ta main de mes doigts brûlants en passant à tes côtés. Ta peau est si douce que j'en souris.
Tu t'éloignes, j'entre, elle est là, elle m'attend drapée dans son peignoir satinée. C'est con, mais une fois de plus, j'essaie de lui échapper. Lorsqu'elle s'approche pour m'embrasser, je lui mords la lèvre et comme à chaque fois, elle me frappe. Je m'effondre au sol et même si je me débats quand elle se jette sur moi, l'issue est toujours semblable. Elle me force à avaler cette saloperie de GHB, mon nez pisse le sang et je disparais...
2042
Fin d'année
Niko m'avait laissé une chance, ensemble nous avions dépassé tous nos interdits. Là-haut, dans les combles. À l'abri. Corps contre corps. Lui hésitant, moi le poussant à mettre de côté ses craintes. La maladie, Sven, j'étais prêt à tout encaisser. Quitte à chopper le VIH s'il le fallait, jamais la mort ne m'avait effrayé. Mais ce fut à son tour de me protéger en m'obligeant à prendre nos précautions. Pour ça, je le remerciais. Pas pour m'avoir gardé en vie, seulement pour avoir eu la grandeur d'âme de faire passer mon bien-être avant le sien. Ici, il avait été le seul à s'en soucier et aujourd'hui, je me retrouvais à nouveau seul.
Niko…pardonne-moi…
C'est un S.O.S, je suis touché. Je suis à terre. Entends-tu ma détresse, y'a t-il quelqu'un? je sens que je me perds. J'ai tout quitté, mais ne m'en veux pas. Fallait que je m'en aille, je n'étais plus moi. Je suis tombé tellement bas que plus personne ne me voit. J'ai sombré dans l'anonymat, combattu le vide et le froid, le froid. J'aimerais revenir, je n'y arrive pas. J'aimerais revenir.
Je suis rien, je suis personne. J'ai toute ma peine comme royaume, une seule arme m'emprisonne. Voir la lumière entre les barreaux et regarder comme le ciel est beau. Entends-tu ma voix qui résonne ? Le silence tue la souffrance en moi. L'entends-tu ? Est-ce que tu me vois ? Il te promet, fait de toi un objet sans éclat. Alors j'ai crié, j'ai pensé à toi. J'ai noyé le ciel dans les vagues, les vagues. Tous mes regrets, toute mon histoire, je la reflète.
Je suis rien, je suis personne. J'ai toute ma peine comme royaume. Une seule arme m'emprisonne. Voir la lumière entre les barreaux et regarder comme le ciel est beau. Entends-tu ma voix qui résonne Niko ? C'est un S.O.S...
Indila – SOS.
Niko, Niko, Nikolaï. Arya et tant d'autres. Tous disparus au nom de Léandre McGuiness. Tous tombés sous le feu des balles perdues que nous avons tirés. Les uns comme les autres. Tous coupables, tous revanchards. Je me souvenais. De tout, trop en détails, comme si j'y étais encore. Pour fêter ses cent ans de règne, ce macchabée de merde n'avait rien trouvé de plus intelligent à faire que d'organiser une petite sauterie. Et pour sûr, on l'avait bien baisé. Avec mes moyens limités, j'avais permis aux miens d'entrer dans le manoir, me démerdant pour leur fournir des armes grâce à l'aide d'Elijiah. Elijiah, condamné à mort. Avait-il survécu ? Je l'ignorais…
2043
Ce jour
On vient à peine de me libérer de mon cachot. Enfermé là-dedans, j'ai perdu la notion du temps. Je crois que plusieurs mois ce sont écoulés, ou peut-être qu'il ne s'agit que de quelques semaines. J'en sais rien. J'ai mal au ventre, c'est à peine si j'arrive à marcher. Tout ce dont je suis certain, c'est qu'on m'a traîné ici de force après le massacre qui a eu lieu lors de la célébration du centenaire. Le soir même, on a appris que j'en étais, et on me l'a durement fait payer. Aindreas a menti, il ne me sortira pas de cet enfer. Il est parti sans moi, mais je ne lui en veux pas. Il a perdu la femme qu'il aimait, on a tout perdu.
Pendant ces quelques mois ou semaines, des vampires m'ont rendu visite. Tous des hommes. Sans doute pour me briser, pour me punir d'avoir détourné un autre esclave de son maître. Pour avoir incité mes semblables à se rebeller. Pour me trouver à l'origine de la coalition, ce mouvement qui bientôt se transformera en une armée interne. Non, je n'ai pas eu connaissance de ce qui se trame. Je ne fais que rêver de voir mes idéaux enfin se matérialiser. Si on m'enlève l'espoir, il ne me restera vraiment plus rien. Que dalle. Mis à part cette putain de douleur qui me transperce de part en part. Partant du centre de mon corps pour remonter jusqu'à mon cœur. Il y a des jours, où j'ai eu l'impression que la moitié du manoir me passait dessus. Couché au sol, dans la merde, je ne pensais qu'à toi Niko. Mon esprit voyageant ailleurs, ignorant les secousses de ceux qui me prenaient. Mes doigts s'enroulant autour de mes chaînes, à presque m'en faire regretter la couche de mon ancienne maîtresse. Pourtant, j'ai résisté. Je leur ai craché à la gueule. Pas une seule fois, je n'ai chialé devant eux. Pas une. Même pas quand Zubrosky se pointait devant moi. Jouant les grands seigneur rempli de bonté, qui est-ce qu'il croyait tromper ? J'étais un rebelle, on m'avait entraîner à tout supporter. Tout.
À ceci près que cet enfoiré de mes deux, ce crevard avait trouvé un moyen bien plus subtil pour me soumettre. Me filer son sang, histoire de me soulager. De m'éviter de crever, de faim, de soif, de honte. Ou accessoirement de me vider de mon propre sang tellement je me faisais démolir à chaque nouveau viol. En échange de sa grandeur d'âme, il consommait lui aussi. Et j'ai fini par le laisser faire à condition qu'il me file ma dose.
Après qu'il ne se fasse pas d'illusion, une fois dehors, les choses seraient différentes. Je m'assurerais de ne plus pouvoir bander, qu'importe les moyens qu'on emploierait pour ça. Niko m'avait expliqué comment faire, coke et héroïne pure. Il m'avait assuré que plus rien ne me ferait grimper.
Si on pouvait tout prévoir…
Sous escorte, on m'a ramené dans les étages supérieurs pour me confier au laqué de McGuiness en personne. Son si précieux valet, William Andrews. Gentiment, sans me brusquer, il m'a emmené à la blanchisserie pour me trouver des fringues propres, puis ensuite, il m'a accompagné à l'une des salles de bains. Comme au tout début, j'y ai passé des heures. Assis dans le bac, sous le jet d'eau. Pleurent sans plus parvenir à m'arrêter, à limite m'en noyer. Mais le dégoût de moi-même a persisté, me collant à la peau. Pour la première fois, j'aurais préféré mourir. Rasé, lavé, habillé, je suis pourtant ressorti dans le couloir et mon garde chien n'était plus là.
Alors j'ai refait le chemin à l'envers, te cherchant des yeux Nikolaï. Pour ne finalement retrouver ton visage que sur un mur de l'aile désaffectée, là où je l'avais tagué. Du coup, je suis monté aux combles pour voir si mes affaires y étaient toujours. Mauvais calcul. En franchissant le seuil de la porte, c'est sur des gosses en pleines manigances que je suis tombé.
Des mômes qui sans le vouloir, m'ont complètement flippé. Devenu serviteur du manoir, au service de tous les vampires qui le désireraient, je n'ai plus nulle part où aller. Nulle part sauf ici, avec mon coffre, mon sac de frappe, ma couverture pour dormir. Des mômes qui n'ont pas la moindre idée de qui je suis…