« Je ne peux que constater que le passé est beau pour la raison que personne ne se rend compte de l'émotion vécue sur le moment. Elle se développe plus tard, et donc nous ne possédons pas d'émotion complète à propos du présent, mais seulement à propos du passé. »
MELTDOWN
2016, quelque part au sud de LA
Emma, dix-neuf ans, vit dans un squat, se drogue régulièrement avec des substances pas très nettes et vient de perdre les eaux. Et merde. Ça y est. Le moment est venu d’expulser ce petit con de son ventre. Elle n’a jamais voulu de lui. Elle vit dans un putain de squat ; ce n’est pas un endroit correct pour un enfant. Le fait d’avoir un être dans son ventre ne l’empêche pas de consommer de la dope. Elle aime bien trop ça. Elle aime bien trop planer, s’échapper de ce monde à la réalité douloureuse. Merde, elle se ferait bien un clope, là, d’ailleurs. Et ce petit con, là, qui lui fait grossir le ventre, il l’agace. Pourquoi est-il encore là ? Arrêter de se shooter à cause d’un bébé ? La bonne blague. Mais bon, Emma n’allait pas se casser la tête avec cette chose qui n’avait même pas encore de nom… Elle n’a pas la force de choisir. Le futur arrive bien assez vite pour montrer ce qu’il réserve, non ? Emma doit accouché seule. Elle le sait, et pourtant elle ne cherche la présence de personne. Elle ne comprend qu’à peine ce qu’il lui arrive. Elle se contente de faire sortir cette être qui a grandi dans son ventre. Ça fait mal… Bordel, ça fait mal… Mais ce truc qu’elle a fumé, juste avant, ça doit l’aider à supporter la douleur, car elle se sent tout de même un peu engourdie… D’ailleurs, après ça, elle aurait clairement besoin d’en refumer un… Vas-y, bébé, bouge-toi… sors de là, putain. Quelque minutes après – ou peut-être quelque heures ? qui sait – elle entend des cris. Il est dehors. Il est enfin dehors. Bordel, il a une voix insupportable, ce petit. C’est quoi, ce fil ? Oh, le cordon. Il faut le couper, n’est-ce pas ? Un couteau… où y a-t-il un couteau, bordel ? Et merde, la jeune femme a tellement faim… Et soif. Elle n’a rien bouffé depuis ce matin. Ou hier matin, elle ne se rappelle plus. Et maintenant elle est censée faire quoi, avec ce machin qui lui cicle dans les oreilles, avec ce foutu fils de putain ? Oui, bébé est un fils de putain, au sens propre du terme. Et aussi au figuré. Elle était une putain tout à fait réglo… Bon, d’accord, elle est très jeune, elle consomme de la drogue en excès… Mais comment aurait-elle pu penser qu’elle tomberait enceinte ? C’est à cause de ce mec, là… Elle est sûre que c’est lui, qui l’a mise en cloque. À vrai dire, ça s'est passé à une période où ses clients ne se faisaient pas nombreux… Il est arrivé, là, avec ce regard différent de celui qu’on lui portait d’habitude… Il y avait presque une sorte de bienveillance dans ses yeux, et non pas cette précipitation et cette soif de sexe qui animait d’habitude le regard de ses clients… Savait-il seulement quel était son métier ? Avait-il juste pitié ? Il s’est endormi, et Emma ne l’a pas chassé. Elle n’en a pas eu envie, elle a juste apprécié la différence qu’il dégageait… et elle a juste profité de son sommeil pour lui voler deux-trois p’tits trucs, dont une bague et un bracelet assez stylé, avec un symbole qu’elle ne connaissait pas du tout sur ce dernier… Des blasons, peut-être ? Bref, peut-être qu’elle pourrait en retirer un bon prix… Et pour couronner le tout, bim, elle tombe enceinte. Vous imaginez bien qu'être une pute et être engrossée ne forment pas une paire de situations très complice ? Et la voilà, aujourd’hui, dans un putain de squat, elle n’a même plus d’appartement, elle n’a même plus d’argent… Elle est constamment fatiguée… Et tout ça, à cause de ce putain de gosse qui n’arrête pas de lui crier dans les oreilles. Comment allait-elle le nourrir ? Elle avait déjà de la peine à manger une repas entier par jour… Mouais, ça, c’est sans compter la bière. La bière, c’est tout de même super nourrissant et super pratique, comme repas. Vous trouvez pas ?
Après avoir coupé le cordon du mieux qu'elle a pu, Emma tente de porter cette petite chose, qui se rue sur son sein… Et la suite… Non, elle ne se rappelle pas de la suite. Il paraît qu’elle s’est endormie – ou peut-être est-elle tombée dans le coma – pendant un jour entier… Ce sont les autres squatteurs qui l’ont retrouvée là, sur son matelas sale, inconsciente, et qui se sont occupés du petit bébé, jusqu’à son réveil, où elle voudra nommer le petit Caïn, comme un petit surnom de cette douce poudre blanche qui sait donner un coup de fouet quand il le faut. Snif.
ᗗᗖᗗ
2021, même endroit.
«
Maman… », chuchote-t-il.
Avec sa petite main enfantine, il secoue son épaule. Mais qu’est-ce qu’elle dort profondément… Il n’a pas envie de la réveiller. Elle est grognon quand elle se réveille. Et elle va être de mauvaise humeur s’il la réveille maintenant. Et quand elle est de mauvaise humeur, elle lui fait peur. Mais il est obligé. Il doit lui montrer ce qu’il y a dans son sac à dos. Il porte un petit sac à dos vert, pas très propre… C’était dommage, il avait dû donner le sien, le bleu carré, celui qu’il portait avant. Caïn aimait bien le bleu. Et quelqu’un lui avait donné le vert en échange. Avec de l’argent dedans, qu’il doit donner à maman. Un des amis de maman avait rempli le bleu avec des trucs qu’il n’avait pas le droit de toucher… Il est allé là où on lui a dit d’aller, a attendu un moment jusqu’à ce que l’homme arrive, qui a pris son sac et lui a donné l’autre, le vert, le moche. Et quand il est rentré, il a trouvé maman allongée, juste là, sur le matelas par terre. Il ne sait pas trop s’il peut insister. Il n’a pas envie qu’elle lui crie dessus. Il ne veut pas recevoir de claque.
Mais pourquoi ne veut-elle pas se réveiller, maintenant ?
«
Maman ! »
Il la secoue plus fort. Elle devrait se réveiller, normalement.
«
Mamaan, réveille-toi ! »
Mais maman ne s’est jamais réveillée. Caïn est resté longtemps là, à la regarder. Ses yeux sont de plus en plus brillant. Il la secoue, encore, et encore, l’appelle de plus en plus fort, pendant encore de longues minutes. Puis il lui en veut. Il boude. Il cherche les autres squatteurs, les copains de maman, mais ils ne sont plus là. Allez savoir pourquoi. Ils sont partis, et ne l’ont même pas pris avec eux. Il ne comprend qu’à peine ce qu’il lui arrive. Il est effrayé, tremble, vient se blottir contre maman mais elle est froide, elle ne lui tient pas chaud. Son corps est tout froid, tout dur. Il se sent seul. Et il a peur. Et il fait noir. C’est la nuit. Caïn n’arrive pas à trouver sommeil, il fait trop froid, et il a trop faim. Tout ce qu’il peut ingurgiter, c’est le contenu de ces canettes. Mais, ce n’est pas bon. C’est amer, et ça fait roter. Et puis, ça fait tourner la tête… Mais au moins, grâce à ça, il a moins faim, son ventre arrête de faire des bruits bizarres, et il s’est endormi. Et quand il se réveille, sa tête tourne encore plus qu’avant, et ça le fait vomir. Il a encore plus faim qu’avant, et il n’y a plus de cette boisson. Et il est fatigué. Et ça pue. Il s’est fait pipi dessus. Et il s’est vomi dessus. Le soleil se lève, et se recouche, et il a toujours plus faim, plus soif, et ça pue de plus en plus. Caïn n’a même plus la force de pleurer. Il fixe le vide, blottit contre maman, à attendre que maman se réveille, en regardant les ombres se déplacer lentement au fil que le temps passe. Puis des personnes sont arrivées. Elles ont des uniformes étranges, froids, des armes à feu… Mais ils sont gentils. Ils n’ont pas fait de mal à Caïn. ils lui ont donné à manger. Et à boire. Du Coca. C’était bon, ça, même si ça piquait. Et depuis qu’ils sont venus, il n’a plus jamais revu maman. Et il n’a plus jamais remis les pieds dans cette vieille baraque. Mais, tant mieux. Parce que ça puait.
SAVE YOURSELF
deux mois plus tard, un orphelinat, LA.
Caïn a mal à la main. Il n’est pas content. Il est même énervé. Il regarde ce petit con, par terre. Son nez est tout rouge, et il y a du sang qui coule sur sa bouche. Il s’est moqué de lui. Caïn n’a pas aimé ce qu’il a dit. Déjà, il n’aime pas que tout le monde l’appelle Walden. Ce n’est pas son vrai prénom. Pourquoi l’appellent-ils tous comme ça ? Il ne savent pas qu’il s’appelle Caïn ? Et ce petit con, il s’est moqué de lui. Et Caïn n’a rien dit. Comme d’habitude, il ne dit rien. En fait, il n’a jamais rien dit à personne. Il ne parle pas aux éducateurs, ne parle pas à ses camarades, n’a pas parlé aux policiers, n’a pas répondu à leurs questions même s’il connaissait la réponse, et ne parle toujours pas aux médecins. Caïn aurait plein de choses à dire, mais il ne les exprime plus. Il n’a même pas envie de les exprimer, et ne sait même plus comment utiliser ses cordes vocales. À part quand Madame Stefany l’a chatouillé, et qu’il n’a pas pu s’empêcher de rire. Mais Caïn n’a pas trop aimé se faire chatouiller. Mais il ne parle pas. Et c’est pour ça qu’ils se sont moqués de lui, et qu’ils ont commencé à utiliser des mots pas gentils. Ça, ça allait. Mais après, il y en a un qui l’a poussé. Et ça, Caïn n’a pas apprécié non plus. Il s’est énervé. Encore plus qu’avant. Et il l’a frappé. En plein sur le nez. De toutes ses forces. BIM. Ça a fait du bien. Caïn s’est senti mieux, après ça. Mais maintenant, il a un peu mal à la main. Ses doigts sont tous rouges.
Et là, Madame Stefany arrive. Elle semble s’énerver, vouloir parler, mais seulement des bribes de mots colériques sortent de sa bouche. Elle relève le petit qui est par terre. Elle regarde son nez, sort un paquet de mouchoirs dans sa poche et essuie le sang et les larmes qui coulent sur son visage. C’est pas très beau à voir. Madame Stefany arrête pas de parler, de poser des questions, de donner des leçons, probablement. Et Caïn en a marre. En plus, il y a trop de gens. Tous les petits ont décidé de les encercler. C’est étouffant. Il se met donc à marcher, vers le jardin, plus loin. Vers le silence, vers la quiétude. Et vers le portail, vers la route. Caïn ne veut plus que les gens le regardent. Il veut être seul. Il cherche le calme, la sécurité, la paix. Et tout ça, ça se trouve à l'extérieur. Derrière le portail. De l'autre côté de la rue. Partout ailleurs qu'ici, en fait. Jusqu’à ce que les tuteurs le retrouve et le ramène entre les murs de cette bâtisse, et ne veuillent l’envoyer chez le médecin. De nouveau.
ᗗᗖᗗ
Quelques mois plus tard, cabinet du Dr. Ducan, LA.
Caïn est caché sous l'escalier. Il n'a pas envie d'aller chez le médecin. Il sait que les tuteurs sont en train de le chercher. Il sait où ils veulent l'emmener. Mais ces médecins, ils sont bêtes. Y en a même un qui a dit que Caïn était peut-être atteint d'une légère forme d'autisme. Il ne sait pas ce que ça veut dire, mais il sait que c'est faux et qu'il n'a rien du tout. C’est eux, qui sont fous, qui ne comprennent pas que tout va très bien dans sa tête. Enfin presque. Mais ils sont bêtes. Les tuteurs ne sont pas méchants, mais un peu bêtes. Et Caïn ne les aime pas tellement. Il se roule en boule, tente de se faire le plus petit possible. Ils sont proches. Mais Caïn savait qu’il aurait dû trouver une autre cachette… celle-ci n’est pas assez bonne. Ils finissent par le trouver. Madame Stefany est là. Elle le prend par la main. Mais Caïn n’a pas envie d’aller avec elle. Il se débat, mais remarque bien vite qu’il ne fait pas le poids, et que c’est foutu. Il n’a pas le choix. Il va devoir de nouveau subir la présence d’un médecin. Qu’est-ce que c’est nul… Il aurait dû trouver une meilleure cachette.
Caïn se calme donc, et entre tranquillement dans la voiture. Il ne parle peut-être pas, mais son regard le fait sûrement pour lui. Et c’est nul. Le trajet est long. Caïn a pas envie d’y aller. Il se met à pleurer. Sans bruit. Il n’aime pas les médecins. Il n’a pas envie de leur parler. Encore moins qu’aux autres enfants ou qu’à Madame Stefany, par exemple. Les larmes coulent. C’est salé.
Ils arrivent enfin. Le trajet a été long, mais ce n’est rien comparé à la salle d’attente. Heureusement, il y a des bandes dessinées. Il y a aussi des petits jeux, mais Caïn n’aime pas trop ce genre de trucs. Et enfin, le Monsieur apparaît. Mike. Il se présente juste comme Mike. Il n’y a pas de Monsieur, il n’y a pas de Docteur. C’est cool, ça. Et Mike n’a pas tellement écouté ce que les tuteurs lui disent. Il s’est contenté de sourire à Caïn, de l’observer gentiment, et de demander aux tuteurs de partir. Et Caïn remarque rapidement cette lueur qui brille dans son regard. Bien sûr, les gens, les tuteurs, les autres médecins, n’ont jamais été méchant avec lui, ils ont de bonnes intentions et veulent être bienveillants à son égard. Ils font du mieux qu’ils peuvent pour se montrer aimables et compréhensifs. Mais personne ne l’a regardé comme Mike. Il y a eu ce truc… Caïn se sent différent que d’habitude. Il ne saurait expliqué réellement ce qu’il a ressenti, mais il y a un mot pour décrire la lueur du regard de Mike. Paternelle. Oui, paternel. C’est le mot. Caïn a tout de suite reconnu en Mile et son comportement une chose qu’il n’a jamais eue : une figure paternelle. Même après seulement une poignée de minutes passées dans la même pièce. C’est indescriptible. Appelez ça comme vous voulez, la volonté de Dieu, le Destin, le hasard, la chance…
Mike ne lui pose pas de questions. Pas tout de suite. Ils jouent d’abord à un jeu. Le jeu est un peu nul, quand même, mais Mike arrive à le rendre rigolo. Oui, oui, Caïn sourit. Il s'amuse. Et c’est plutôt rare. Mais il se sent bien, pour une fois. Et naturellement, quand Mike s’est adressé à lui, Caïn s’est ouvert tout seul. Et enfin, sa petite voix enfantine mais pleine de maturité a résonné :
«
Pas Walden… Caïn… Je m’appelle… Je m’appelle Caïn. »
ᗗᗖᗗ
2022, demeure des Ducan.
De l’orage. L’éclair déchire le ciel et éblouit Caîn. Zut. Meg a peur de l’orage, Caïn le sait. Meg, c’est la fille de Mike, et de Natasha, qui l’ont adopté il y a quelques mois. Caïn s’est beaucoup attaché à eux, et apparemment, eux se sont aussi attaché à lui. Ils vivent dans une petite maison avec un grand jardin, tout mouillé par la pluie. Caïn a même sa propre chambre, son propre lit. Mais bon. Même si c’est le milieu de la nuit, Caïn regarde par la fenêtre. les éclairs sont énormes. C’est impressionnant. Il est fasciné. Mais ça fait beaucoup de bruit, et Meg doit avoir peur. Il fait demi-tour et sort de sa chambre. Il marche jusqu’à la porte de la chambre de la rouquine, qui est entrouverte, et entre dans sa chambre. Il regarde autour de lui, et voix une petite tignasse rousse dans un petit lit. Et il entend des pleurs.
Oh non. Zut. Elle pleure.
Faut pas qu’elle ait peur. Elle est gentille, Meg. En fait, son vrai prénom c’est Megara. Elle a seulement quatre ans, elle est super curieuse, super collante, super… chiante ? Disons attachante, plutôt. Non, parce qu’elle est gentille. Et Caïn l’aime déjà beaucoup. Elle reste souvent avec Caïn, avec ce sourire quasi constant sur ses lèvres. C’est un peu comme si elle était un petit rayon de soleil à elle toute seule. Elle ne l’a pas jugé les premiers jours, quand Caïn n’osait pas tellement parler, et ne le fait toujours pas. Elle parle beaucoup, et a déjà un caractère bien trempé. Et en même temps, aux yeux de Caïn, elle est toute fragile, tout en étant forte de son obstination. Comme une vraie petite sœur, c’est vrai. Et c’est le cas, en fait, maintenant.
Oui, Caïn a une petite sœur.
Mais il n’aime pas la voir pleurer. Et avant qu’elle ne vienne s’incruster dans son lit et lui tenir chaud comme une vraie bouillotte, le coller comme de la colle extra-forte, Caïn a décidé de la rejoindre, lui. Il veut la réconforter, qu’elle arrête de pleurer. Il s’installe à côté d’elle, par dessus la couverture, pass un bras autour d'elle, et la regarde.
«
Faut pas avoir peur, Meg. C’est juste des éclairs. C’est rien du tout.
…
Je suis là.
…
Tu peux dormir tranquillement… »
Et tous deux s’endorment bientôt. Meg, la première, tandis que Caîn fixe encore un moment les éclairs… et sombre bientôt lui aussi.
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WAY DOWN WE GO
2030, demeure des Ducan, LA
Et merde. Caïn aurait dû se taire… Il ne parle pas beaucoup de sa famille. Enfin, de ses géniteurs, plutôt. Cette conne de droguée et ce mec qu’il n’a jamais vu.
Vive la famille.
Non. Sa vraie famille, c’est les Ducan. Meg. Mike. Natasha. Il les aime énormément. Même s’il fait plein de conneries et n’est pas l’enfant modèle rêvé par tous les parents, il les aime. Il les aime plus que tout au monde. Littéralement.
Mais ses géniteurs, il ne les mentionne que très rarement. Aujourd’hui, par exemple, était un exception ; Caïn a parlé de ses origines, il a parlé de ce qu’il savait de sa mère, de son père, et peut-être aurait-il mieux fait de se taire… C’est à Vanille qu’il en a parlé, sa petite amie depuis plusieurs mois. Cette fille, il l’a dans la peau. Bon, d’accord, il n’a que quatorze ans, mais Caïn a l’impression qu’ils se comprennent, qu’il y a cette sorte de complicité qui vibre entre eux, cette sorte de complémentarité. Il n’a donc pas hésité à lui dévoiler son passé, là, sur son lit, étendu, alors qu’ils discutaient de tout et de rien.
Il lui a parlé de sa mère… il a évoqué le fait qu’elle avait été une prostituée, une droguée, qu’il avait grandi dans une maison abandonnée pendant cinq ans, qu’il avait retrouvé sa mère morte d’une overdose d’héroïne (et probablement d’autres drogues) après qu’elle l’avait envoyé vendre de la drogue pour se faire un peu de tune. Tout ça, bien sûr, Caïn ne s’en rappelle pas complètement ; ce sont d’autres personnes qui lui ont raconté. Lui, il n’en fait que régulièrement des cauchemars, dont la fréquences a passablement diminué depuis que ses nuits sont souvent dépensées à une autre activité qu’il partage avec Vanille…
Et ensuite, bien vite, est venue la question du père de Caïn. Et par de simples mots, Caïn a expliqué à la délicieuse brunette qu’il n’avait jamais connu son père. Les flics n’avaient jamais trouvé son identité, n’en avait jamais trouvé la moindre trace. En effet, la seule trace qu’il semble demeurer, c’est Caïn qui la possède. C’est une bague et un simple bracelet, mi métal, mi cuir, plutôt fin, avec sur tous les deux la même espèce de sceau gravé dessus. Caïn n’a jamais su ce que ça représentait, mais quand il l’a montré à Vanille, celle-ci a probablement dû y reconnaître quelque chose. Elle a pris les objets entre ses doigts et son visage s’est décomposé. Puis, pour couronner le tout, elle est partie en courant de chez lui. Et maintenant, il est là, à faire les cent pas dans sa chambre. Il ne comprends pas la réaction de Vanille. Pourquoi est-elle partie ? Doit-il courir à sa poursuite ? Veut-il vraiment savoir la raison de sa réaction ? Il est donc resté assis sur son lit et n’a pas fermé l’œil de la nuit. Il a tenté d’appeler Van, oui, mais elle ne lui a pas répondu. Et ce n’est qu’après plusieurs heures à regarder par la fenêtre, faire les cent pas, se retourner dans son lit, encore, encore, sans parvenir à trouver le sommeil, qu’il a décidé de la rejoindre. Il est passé chez elle, alors que le soleil était à peine en train de se lever.
Et c’est là que son coeur s’est brisé en un million de morceau, réduit en poussière, qu’une partie de son monde s’est monumentalement écroulée sous ses yeux. Vanille lui a expliqué. Et ce n’était vraiment pas beau à entendre. Les symboles sur la bague, et sur le bracelet, ce sceau frappé sur le métal, c’était les blasons de la famille de Van’, des Bishop. Et uniquement les membres de cette famille possèdent ce genre d’objet. Et là, en l’occurrence, ils appartenaient bien au père de Vanille. Son père. La seule trace que Caïn tient de son père appartient au père de Van’. Et merde.
Ils ont le même père. Enfin non, ce n’est pas vraiment un père aux yeux de Caïn. Surtout que cet homme n’a par la suite jamais voulu réellement apprendre à le connaître. Et il faut dire que, après ce que Caïn avait pu en voir les quelques fois où il avait croisé le père de sa petite amie, il n’a pas réellement cherché à le connaître davantage. Il est en colère contre ce personnage, il ne l’aime pas, il veut se foutre de lui, il refoule cette curiosité qui le ronge d’apprendre réellement quelles sont ses origines, et se console en se rappelant que s’il doit avoir un vrai père, c’est Mike. Uniquement Mike. L’autre est un simple inconnu qui, éventuellement, lui ressemble un peu. Même si c’est un peu plus étrange que ça.
Au début, ça a été difficile de considérer Van’ comme sa grande sœur. Il n’a pas réussi à se défaire tout de suite de ce lien spécial qui les réunissait, il refusait de la voir comme sa soeur. Certes, ils sont tactiles et complices comme des frères et soeurs, et il le resteront d’ailleurs le reste de leur vie, mais Caïn est resté sous le choc de cette nouvelle pendant un moment… Mais au final, il n’en aime pas moins cette petite mexicaine.
ᗗᗖᗗ
2032, en partant de chez les flics, à LA.
La tête contre la vitre, à l’arrière de la voiture. Caïn boude. Seize ans, et il boude. Il est encore ivre, et n’a pas du tout envie d’entendre la morale qu’est en train de leur faire leur père. Oui, Meg est lui on fait une petite connerie. Enfin, plusieurs conneries. Mais pas des grosses conneries. N’est-ce pas ? Caïn n’a aucune envie d’écouter son père, et regarde Meg. Il se marre. C’est vachement drôle, de se faire engueuler.
«
Allez, Papa… On n’a rien fait de grave, on a juste bu un peu… Ne me dis pas qu’à mon âge, tu ne faisais pas la même chose ? »
Caïn sourit et peine à garder les yeux ouverts. La vitre est froide. Qu’est-ce que ça fait du bien.
«
Tu es complètement ivre, Caïn. », résonne la voix grinçante de son père, qui conduit la petite voiture.
Il roule vite. Trop vite. Il est énervé.
«
Et tu as fait boire ta sœur. Elle a seulement quatorze ans, Caïn… Tu… »
Natacha ne sait plus quoi dire.
«
Vous avez jamais pris de cuite à quatorze ans ? » s’enquit l’adolescent, d’une voix suraiguë à cause de son ébriété, puis continue, fier, gloussant à moitié : «
Pfff… Vous faisiez quoi, alors, à cet âge-là ? »
Caïn n’arrive même pas à tenir sa tête sur ses épaules, et il n’articule même plus. Les parents s’exaspèrent. Ils étaient terriblement inquiets, et maintenant se rajoute de la colère explosive, et de déception… Jamais ils n’auraient pensé que leurs enfants soient aussi peu responsables… Boire de l’alcool, faire boire de l’alcool à sa petite sœur, balancer la bouteille contre la vitre de la voiture des voisins, qui se casse inévitablement… Et là, ils ont eu probablement la meilleure idée, la plus intelligente, du siècle.
«
Tu veux conduire, p’tit mégot ? », lui avait-il fait, sur un ton emprunté à la fois d’ironie et de complicité.
Caïn avait l’habitude de lui donner plein de surnom très inventifs et surtout très stupide… plus pour lui que pour elle. Enfin bref.
Vous voyez la suite. Premier cours de conduite pour Meg. Au début, ça a calé, puis au final, c’est parti plutôt vite. Heureusement, sur la route (et en dehors), il n’y avait pratiquement personne. Sinon, il y aurait probablement eu des morts… Vous ne croyez pas ? Enfin, ça n’a pas empêché à Caïn de prendre son pied et de rire pendant ce petit trajet imprévu. Il a allumé la radio, et a mis la musique à fond. Ils se sont mis à chanter, Caïn a imité la rouquine qui chantait sous la douche, et cette dernière ne faisait probablement plus tellement attention à ce qu’elle conduisait. Et évidemment, la voiture a dû prendre probablement plutôt cher… Entre les éraflures contre les trottoirs et tous les obstacles qu’elle n’a pas tellement pu éviter vu la vitesse à laquelle elle roulait… Oui, la voiture a pris cher.
Et peu après, les flics sont arrivés… Et là, Meg et Caïn n’ont pas pu faire grand-chose… Si ce n’est les suivre jusqu’au poste…
«
Demain matin, première heure, vous irez vous présenter chez les voisins et leur expliquer ce que vous avez fait…! Et vous vous trouverez un job pour pouvoir rembourser les dégâts que vous avez faits à sa voiture ! », s’impose la mère, qui peine à contrôler ses émotions, entre exploser de colère ou éclater en sanglots.
«
C’est ça, oui… », raille Caïn, provocateur, rebelle, mesquin, tout en reposant sa tête contre le dossier du siège devant lui, un sourire niais sur ses lèvres. Sale mioche.
«
Oui c’est ça, Caïn !! », hurle son père. «
Fais le malin ! »
Mike, dans sa rage, se retourne, prêt à foutre une bonne torgnole à son fils. Il voit tellement rouge, et est tellement dépité du comportement de ses deux gosses qu’il en oublie presque de guider la voiture et, bien sûr, au moment où un virage serré se dessine à la lumières des phares, il n’a plus ses yeux sur la route, et est trop occupé à toiser son fils. Natasha sèche les larmes discrètes qui coulent le long de ses joues roses et au moment où elle rouvre les yeux, elle crie un :
«
Attention !! »
Mais c’est déjà trop tard. Malgré le fait que Mike bifurque au dernier moment, il est déjà trop avancé pour éviter complètement le ravin qui se dévoile devant lui. Même la barrière ne résiste pas à leur vitesse, et bien vite, ils se retrouvent dans le vide.
Et paf. Contre le sol, en pente. Ils font des tonneaux. Trop de tonneaux. Caïn se rend à peine compte de ce qui est en train de se passer.
Les cailloux orangés ne semblent même pas les freiner dans leur chute. Et bientôt, c’est le grand plongeon. Plouf. Dans l’eau. Dans l’océan. Et les eaux son profondes, à cet endroit.
Mais il fait tout noir. Et Caïn est inconscient.
Quand il se réveille, il a extrêmement mal à la tête. Non, ce n’est pas la gueule de bois. Il s’est cogné la tête. Il y a du sang. Et tiens, c’est bizarre comme il fait froid… Il y a de l’eau. Merde. Ils sont en train de couler.
Enfin, non, là, ils flottent encore…
Caïn détache sa ceinture et appelle ses parents. Ils sont inconscients, immobiles. Et merde. Il tente de les secouer, mais ils ne réagissent pas. Et re-merde. Meg ? Elle est aussi inconsciente. Et re-re-merde. Qu’est-ce que Caïn est censé faire ? Doit-il appeler les secours ? Doit-il casses les vitres ? Doit-il ouvrir les portes ?
Il tente d’ouvrir sa portière, mais la pression de l’eau est déjà trop forte. Il ne sait pas quoi faire, et panique. Vu que la voiture semble flotter encore, peut-être peuvent-il sortir par la fenêtre ?
Le jeune adolescent détache sa soeur d’une main tremblante, et la ouvre sa fenêtre. L’eau se met à rentrer bien plus rapidement qu’avant. C’est la merde. La grosse merde. Ils vont couler. Ils vont couler encore plus vite à cause de Caïn. Tant bien que mal, il parvient à faire passer la rouquine par la fenêtre. Mais elle ne se réveille pas. Putain. Il s’extirpe lui aussi de la voiture, et nage du mieux qu’il peut, agrippant Meg contre lui. Il boit à peu près douze fois la tasse avant d’arriver vers la terre et dépose sa soeur inconsciente sur les pierres désertiques.
Et il y retourne. Il faut encore sauver ses parents. Et la voiture et proche de couler pour de bon. Il parvient à rejoindre la voiture, à détacher Natacha. Il la traîne hors de la voiture, comme il l’a fait avec Meg. Il la ramène en sécurité, sur la plage, et repart pour aller chercher Mike. Au moment où il entre dans l’eau, il entend Meg tousser.
Elle est vivante.
Oh, bordel, elle est vivante.
«
Appelle les secours ! », lui lance-t-il, avec peine.
Si elle le peut. Si son téléphone fonctionne encore après cette petite baignade. Et Caïn repart. Il est essoufflé, sa tête tourne affreusement, il ne nage probablement pas droit, et a de la peine à rester à la surface. La voiture commence à couler, submerger par les eaux. Caïn plonge pour rejoindre la fenêtre, mais sous l’eau, il n’y voit rien. Il n’y a aucune lumière. Il ne trouve pas Mike, il ne trouve pas son père. Bordel.
Caïn est à bout de souffle. Mais il veut le trouver. Il ne le laissera pas. Mike ne mourra pas.
Caïn n’a plus de force, il n’a plus d’air dans les poumons. Il lutte avec toute son obstination contre son envie de remonter à la surface. Il ne veut pas remonter. Et ne le fera pas. Il préfère mourir que d’abandonner son père maintenant. Il ignore ses poumons qui sont en feu, sa tête qui devient de plus en plus douloureuse, sa vision qui se trouble de plus en plus, même si l’alcool semble lui donner cette drôle d’anesthésie qui lui fait tenir plus longtemps… Il va y arriver. L’eau est sombre, trouble, et agitée, mais la voiture n’est pas loin. Il aperçoit les phares, encore allumés, qui percent l’obscurité tyrannique des eaux. Mais ils semblent s’affaiblir. Leur lumière semble se faire absorber par les ténèbres environnants.
Non…
Non.
Et merde.
Il fait tout noir…
Plus de lumière. Plus de douleur.
Plus rien.
ᗗᗖᗗ
Quand il se réveille, Caïn est ébloui. Les néons au plafond sont vraiment trop puissants. Et il a mal à la tête. À l’intérieur, et à l’extérieur. Mais enfin bref. Où est-il ? Et ça pue… Enfin, ça sent le désinfecté… Vous savez, comme quand on va chez le dentiste. Sauf que là, c’est encore pire que chez le dentiste… Caïn est dans un putain d’hôpital. Son premier réflexe, c’est de se redresser dans son lit. Et là, il ressent une vive douleur dans la nuque, qui le freine dans son élan. Il regarde autour de lui. Il n’y a personne. Bordel, Caïn déteste ce genre d’endroit. Ça pue, il y a toujours des bruits étranges, des « bip bip » incessants. Et tous ces câbles reliés à lui, ils servent à quoi ? Bordel, c’est chiant. Caïn les arrache et se lève. Et les tenues des patients… on en parle ? Il tire le rideau qui le sépare du reste du monde, et voit qu’en réalité, il y a du monde, par ici… Il plisse les yeux, éblouis par ces putain de lumières blafardes beaucoup trop forte. Merde, sa tête tourne… Il est encore bourré de la veille. Que s’est-il passé, déjà ?
Meg.
Où est Meg ?
Mike. Natasha.
Caïn s’avance, et tire sans gêne les rideaux qui se trouvent à côté de lui. Les images de l’accident lui reviennent en tête. Dès qu’il pose ses yeux sur la chevelure rousse qu’il cherche, il semble se détendre. Puis se tendre à nouveau. Les yeux de Meg sont fermés, et elle est étendue sur un lit, comme lui il y a quelques secondes. Mais l'environnement l'inquiète. Il veut qu'elle se réveille.
«
Vous êtes réveillé. »
La voix de ce qui semble être une infirmière le fait sursauter. Il fronce les sourcils en la regardant, puis les hausse comme s'il attendait des informations de sa part.
«
Elle va bien ? », fait-il pour mettre des mots sur son regard.
L'infirmière lui explique qu'en gros, Meg est juste endormie et qu'elle va se réveiller. Mais ça ne suffit pas vraiment pour calmer le bouillonnement à l'intérieur de Caïn.
«
Et mes parents, ils sont où ? »
L'infirmière le regarde avec cette petite mine coincée que Caïn n'aime pas du tout. Enfin, c’est peut-être un médecin plutôt qu’une infirmière… Enfin bref, c’est pas important.
«
Ils sont où ?! »
Eh bien ça…
Alors ça.
Caïn n’a pas trop aimé la réponse, quand il l’a eue. En fait, il ne l’a pas entendue. L’infirmière a dû se reprendre quatre fois avant que le cerveau du jeune cesse de renier ce qu’il entendait en regardant ailleurs.
«
Morts ? »
«
Vous devriez aller vous recoucher, vous avez une grosse commotion… »
«
Ni ma mère… ni mon père… Vous n’avez pas réussi à les réanimer… »
«
Nous avons fait tout ce que nous avons pu… Mais il semblerait qu’il était déjà trop tard quand les secours sont arrivés… Vous devriez aller vous reposer… »
«
Quoi ? »
«
Je suis désolée. Allez vous reposer. »
«
C’est une blague ? »
«
Reposez-v… »
«
Est-ce que c’est une blague ?! »
«
… »
«
Vous n’avez pas réussi à les sauver…? »
Et là, Caïn voit rouge, évidemment. Il pousse la femme. Il pète un câble. Il a même tenté de lui décocher une belle droite dans son petit minois de vieille femme, mais une médecin intervient avant qu’il n’ait pu le faire, malheureusement. Il est hors de lui, et en même temps complètement déconfit. Il explose, littéralement.
La suite, Caïn ne se souvient plus tellement. Peut-être s’est-il évanoui… Peut-être l’a-t-on assommé… Peut-être l’a-t-on sédaté. Mais il est calme ; il dort.
Profite, Caïn, profite.
HIGHER
2035, LA
Cette année-là, rien ne se régla vraiment. Déjà, il y eut eux. L'oncle et la tante, qu'il n'avait vu qu'une fois dans sa vie. Non, ces deux-là sont des gens ignobles et malsains. C’était la soeur de Mike, et son mari, et Mike avait tout fait, ces dernières années, pour ne plus avoir contact avec eux, pour s’éloigner de ce couple, et pis voilà… Maintenant que lui et Natasha sont morts, ils sont les plus proches parents de Meg et Caïn. Vous voyez, un peu, l’oncle et la tante de Harry Potter ? Eh bien, ils ressemblent un peu à ça… Si ce n’est qu’en plus d’être gras, il est alcoolo et violent, et qu’en plus d’être conne, elle est misérable et agressive. Et c’est ces deux immondes personnages qui ont la garde de Caïn et Meg… et chez qui ils habitent désormais.
Enfin, officiellement. Non, car Caïn, lui, ne veut plus passer du temps avec cet homme gras, alcoolique et violent envers sa femme, Meg, et lui. Et la tante, elle, n’est pas vraiment mieux. Elle est dans le déni, elle ne se plaint même pas, et le jour où Caïn lui a demandé pourquoi elle ne se défendait pas, elle lui a simplement dit de s’occuper de ses affaires en lui soufflant la fumée de sa cigarette en pleine gueule.
Sympa.
Il n’y en avait pas un pour rattraper l’autre. Ils sont vraiment cons. Meg allait se lancer dans des études, et ils étaient tellement malintentionnés, tellement radins, qu'ils compromettaient ses études juste parce qu'ils avaient le droit de faire chier. Caïn s'est énervé, à ce moment-là ; c'est la première fois qu'il est violemment sorti de ses gonds chez son oncle et sa tante. Résultat : il s'est retrouvé avec un nez cassé et deux trois autres blessures légèrement plus superficielles dont une luxation de l'épaule, mais pas de quoi calmer les idées de Caïn ; et au moins, Meg a pu commencer ses études.
Avec ses blessures, Caïn a dû rester à la maison, et c'est à partir de ce moment-là qu'il s'est intéressé à l'informatique et à la toile qui reliait la planète. Ayant toujours eu un goût prononcé pour les affaires illégales, il ne tarda pas trouver un moyen de se faire un peu d'argent… Histoire de payer les études de Meg.
Ce ne fut que la première fois que l'oncle s'était montré violent avec Caïn… Bientôt, la violence familiale devint une habitude, une norme. Mais Caïn voulait juste le défoncer, lui… Mais il se faisait avoir… En plus d'être un alcoolique, cet homme était un véritable pervers narcissique, et Caïn, malheureusement, se faisait facilement embobiner dans les subtiles ficelles de ses manipulations. Surtout au début… Mais il décida d'apprendre à se battre… Il n'était pas particulièrement musclé, mais il savait qu'il pouvait se montrer plus rusé que les autres… Les arts martiaux ne requéraient pas forcément beaucoup de force, mais une véritable connaissance et maîtrise de son corps… Et ça lui fut vraiment bénéfique. Rapidement, il se montra doué pour les sports de combat, ayant une très bonne maîtrise de ses gestes, et sa ruse n'en fit qu'accroître.
Vous comprendrez donc qu'il est tout à fait naturel que Caïn ait commencé à s’éloigner de ces deux personnages. Mais maintenant, ils se complaisent dans leur rôle autoritaire qu’ils peuvent exercer à l’égard de leur deux nièce et neveu, et semblent toujours vouloir être là pour tout faire foirer. Ils ont un sens de la contradiction énorme et adorent l’utiliser. Juste pour faire chier. Voilà, ils aiment faire chier. Et ils sont là pour ça. Mais Caïn en a marre, et de plus en plus, il fait le mur pour partir, la nuit, principalement, et de plus en plus durant la journée également, les jours où il ne travaille pas chez cet homme qui lui apprend le métier d’armurier, l’art de la conception des armes à feu, leur entretien, tout ça. – Caïn prend ce métier très au sérieux, peut-être plus que son patron, qui se fait appeler Belly, qui semble être un vrai fou. Pas méchant, mais fou… Le genre de personne pas tout à fait légal. Ce qui correspond tout à fait à Caïn. Ce Belly, il n’est pas très net, mais Caïn s’en fout… En réalité, c’est plutôt bénéfique pour lui. Bosser dans les armes, c’est un art, certes, mais bon, c’est tellement facile d’en faire une affaire illégale. Bon, les flics ne sont jamais très loin quand on fait ce genre de métier, mais Belly est intelligent et sait passer pour quelqu’un d’aussi vierge que son casier. Mais derrière tout ça, Belly est un drogué. Mais un gentil drogué, un fou, qui ne veut que s’éclater, et qui crée même sa propre came. Il crée des armes, et de la drogue. Un homme respectable aux yeux de Caïn.
Vous voyez, quand je vous parlais d’illégalité ?
Eh bien c’est là-dedans que Caïn a plongé, la tête la première. Depuis la mort de ses parents, il a l'impression d'être en chute libre… Et ces conneries, qu'il fait, elles lui font se sentir vivant. Elles coupent ce sentiment de vide qui l'assaillit si souvent depuis ce jour-là. Il a l'impression de se faire du bien, il se fout de tout, et pourtant, non, il ne va pas bien. Il n'arrive pas à se remettre de la mort de ses parents, même trois ans plus tard ; il a l'impression de s'en remettre, il a l'impression d'aller mieux, mais au final il est à deux doigts de toucher le fond ; il mène une vie décadente et débauchée. Heureusement, Vanille, ainsi que Craven, son copain, sont toujours là pour lui donner des coups de pieds au cul et le faire sortir du trou noir dans lequel il se morfond, et également faire subir le même sort à Meg, qui, elle aussi, touche le fond. Oui, heureusement qu'ils sont là, eux. Meg et Caïn ne seraient probablement plus vivant aujourd'hui sans eux.
Revenons à ce job que lui donne Belly. Caïn possède cette petite fourberie, cette ruse qui lui permet d’aller vendre sa came dans les rues, de manière à la fois efficace et discrète. S’il faut vendre un kilo, Caïn trouvera un moyen de le faire. S’il faut vendre des armes illégalement, Caïn trouvera la ruse de le faire discrètement, et de se faire respecter même par ses "supérieurs hiérarchiques", même du haut de ses 19 ans.
Il fait plein de conneries, encore plus qu'avant, depuis que ses parents adoptifs sont morts. Il fait des conneries, mais il les fait bien.
Le reste du temps, il traine dans les rues, rejoint les amis qu’il s’y est fait. Il fréquente des lieux qui apparemment sont malfamés, mais dans lesquels il parvient à trouver son confort, cette sorte de chaleur qui manque terriblement dans son foyer. L’une des rencontres importantes de cette année, c’est Marcus. Il est plus vieux, mais Caïn peut aujourd’hui clairement le considérer comme un ami. Voir comme un frère. Au début, il voyait bien que Marcus était dans la merde, qu’il galérait dans la vie, et Caïn a donc décidé de lui refiler un peu de la came de Belly, et de lui donner une part des bénéfices qu’ils feraient. Marcus lui semblait être un type réglo. Et il s’est révélé qu’il l’est réellement. Oui, en apprenant à le connaître, Caïn s’est aperçu que Marcus est complètement taré, mais c’est cool. C’est un p’tit clown, c’est aussi un p’tit con. Caïn s’entend super bien avec lui, ils ont à la fois des points communs et des différences qui leur permettent d’être assez complémentaire et de tenir debout lorsque l’autre est à terre… et aujourd’hui, il peut le considérer comme son grand frère. Cette sorte de lien qui les unit, cette sorte d’anarchie qui fait battre leurs cœurs, c’est un lien très fort, et qui est voué à durer.
Quelques mois plus tard, il fera également la rencontre d'un jeune homme, un petit geek, qui semblait complètement sans défense, et qui s'est retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment… Dans une ruelle malfamée, Caïn l'a vu pour la première fois alors qu'il était plaqué contre un mur, une bande de racaille trouvant sa tête légèrement trop bourgeoise pour passer les lieux sans payer une taxe… Caïn leur a demandé de le lâcher, et de le laisser tranquille. Mais vous connaissez bien ce genre de type, quand ils sont en bande, ce n'est pas un type comme Caïn, de plus seul, qui pourrait les effrayer… Mais Caïn s'en est plutôt bien sorti… Il a cassé deux mâchoires, un nez, un poignet, et a assommé un autre type… alors que lui s'en est sorti avec seulement une côte cassée, et un joli oeil au beurre noir. Au moins, le petit geek était intact. Esteban, qu'il s'appelait. Il venait de se faire foutre dehors par son père alcoolique… sa mère était morte quelques mois auparavant.
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2037, LA
«
Viens, Meg. On se casse d’ici. »
21 ans. La première chose à laquelle Caïn a pensé en se réveillant, ce jour-là, c’est à se casser de chez son oncle et sa tante. Oh, oui, il ce jour depuis longtemps. Les papiers sont déjà près. En réalité, il n’a plus qu’à rendre la chose officielle. Parce qu’en ce moment, il passe plus de temps à l’extérieur que chez la sœur de Mike. Et bientôt, Meg et lui auront leur propre maison. Il vont reprendre celle dans laquelle ils ont habité avec leurs parents. Ils reviennent au source après cette période noire. Et Caïn a également proposé à Marcus de les rejoindre. Meg l’a rencontré, dans des circonstances particulières, et apparemment, elle n’est pas contre l’idée que le p’tit clown habitent avec eux.
La maison est suffisamment grande.
Et enfin, Caïn aura la possibilité d’entreprendre sa vie seul, d’être indépendant. Complètement. Même si techniquement, il continuera de faire la même chose. Il continuera de travailler pour Belly, de s’investir dans ce travail peu fameux, mais qui lui correspond.
Au final, Caïn ne fait de mal à personne, n'est-ce pas ? À part quand Caïn se retrouve au milieu d’une baston parce que certaines personnes ne veulent pas le payer, ou ont essayé de lui voler sa marchandise, il ne fait de mal à personne. Caïn aimerait bien en tuer quelques uns, de ces enfoirés, et il l'aurait déjà fait si sa raison ne lui dictait pas d'être plus prudent. Il pourrait en tuer… à vrai dire, il a toujours une arme sur lui – normal venant d'un armurier – mais au moins, il se dit qu'il peut se considérer au-dessus de ses agresseurs, car eux n'hésitent pas à tuer. Oui, Caïn a déjà failli y passer plus d'une fois, notamment quand il s'est reçut un joli coup de couteau sous le sternum, qui lui a laissé une jolie cicatrice… Il a bien failli y passer… C'est excitant, n'est-ce pas ?
Il se laissera aller. Il sera libre. Il mêlera décadence et prise en charge intelligente. Il fera n’importe quoi, mais il le fera bien. Il fera recouvrir son corps de tatouages, il couchera avec Meg en rentrant de boîte, une nuit, et n’éprouvera qu’une dose infime de culpabilité, après cela. Après tout, ce ne sera pas la première fois qu’il couchera avec une sœur, n’est-ce pas ? Il prend désormais la vie au jour le jour et ne pense plus tellement au passé, ni au futur, ni aux conséquences de ses actes…
Ouais, il se laisse aller. Tranquillement.
Et bordel, ça fait du bien… Mais est-ce vraiment bien ?
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La boxe. Anglaise.
Caïn y va de plus en plus souvent. Frapper lui permet de canaliser ses pensées, et de leur donner une meilleure direction. Écraser ses poings bandés contre le cuir du punching bag lui permet de se défouler, d'extérioriser les tensions qui font rage en lui et la colère qu'il nourrit contre le monde en général, que ce soit contre une personne en particulier, contre lui-même, ou contre la société. La boxe, c’est quelque chose de bien. Enfin, les personnes avec qui il y va sont probablement plus importantes que le sport lui-même. Van’, Craven, Meg, tous… Ils sont tous là. Et Caïn se sent plus proche d’eux que jamais. Et faire ce sport, avec eux, bordel, ça fait du bien. Enfin, Caïn a vraiment l’impression de doucement sortir de la tombe qu’il s’est lui-même construite depuis la mort de Mike et Natasha. Petit à petit, il ne se sent plus comme un zombie en chute libre, et enfin, il ressent la capacité de faire preuve de contrôle. Et d’un contrôle mesuré. Il se sent mieux ; mais est-il vraiment près à abandonner le monde de la drogue, comme Meg, ou encore Van, le voudraient et n’arrêtent pas de lui répéter ? Arrêter d’en consommer, ce ne sera pas compliqué… Caïn n’en a jamais énormément consommé, si ce n’est les drogues douces. Il en vendait bien plus qu’il n’en consommait. Mais arrêter ses activités illégales, se reprendre en main, est-ce vraiment possible ?
Non, pas vraiment… Pas tout de suite. Il se complaît bien trop dans l’insalubrité de sa routine, il s’y plaît. Il a l’impression d’y trouver son bonheur. Que pourrait-il vraiment demander de différent ? Il a des amis hors norme, une famille… oui, ils sont sa famille ; il fait du sport, il n’a pas de problème de santé, il a suffisamment d’argent pour vivre plus que confortablement, il est respecté par de nombreuses personnes, il fait ce qu’il veut, il s’éclate (trop) souvent…
C’est de l’argent facile, c’est un job que Caïn fait bien, et il ne peut pas quitter du jour au lendemain le réseau qu’il s’est créé au fil des années. Certes, certains n’aiment pas les petites activités de Caïn, comme celles d’Ainsley ; Meg essaie de le faire sortir de là, mais le veut-il vraiment ? C’est ce qu’il a fait toute sa vie, ce à quoi il semblait destiné… Tout ce dont Caïn a besoin, c’est de pouvoir compter sur ses potes. Sur sa nouvelle famille. Et un jour, un jour… il sera près à changer de vie, radicalement… Un jour. Sûrement.
Allez hop. Bande les jointures de tes mains, Caïn, et va frapper le punching bag, défoule-toi et ne pense plus à rien, souris à tes amis, aime-les, et regarde-les faire la même chose que toi, regarde-les être proches de toi, garde les proches de toi… tu aurais besoin d’eux, comme ils auront besoin de toi…
FRICTION
River Crow. Nous y voilà enfin. Van' s'est fait attaquée, aux USA. Elle y a perdu son bébé. Ils ont payé, les agresseurs… Oh, oui, ils ont payé. Craven et Caïn s'en sont personnellement chargé… Mais des telles actes, ça peut briser même les plus forts. Van' a souffert… Et Caïn en est sûr, même aujourd'hui, elle en souffre encore. Même s'ils ont tenté de fuir le passé en se réfugiant en Irlande, la peine ne nous quitte jamais réellement… Il faut juste apprendre à vivre avec… Parfois on y arrive, parfois non… La famille est là pour aider, comme tous sont là pour aider Van' et Craven. Toujours.
C'est comme ça qu'il se sont retrouvé dans cette petite ville, aux allures parfaites, loin de la crise, loin de la perdition du monde alentour. Loin du Mal. Loin de la souffrance.
La bonne blague.
River Crow, c'est là où le mal prend racine. C'est là qu'on lui donne naissance. Ils pensaient fuir leur passé, prendre un nouveau départ, loin des ennuis… Eh bien, ça marchera probablement, vu que des problèmes, ils vont en rencontrer de bien plus gros, et de bien plus envahissants. Ces suceurs de sang… Oui, ils sont bien loin de s'imaginer ce qui les attend.
Mais ils sont ensemble, et rien ne semble pouvoir les attendre… Ils sont prêt à tout pour se soutenir, ils ne connaissent plus rien, et pourtant leurs ressources sont infinies. Tout cela, pourvu qu'ils soient ensemble. Les maux de River Crow ne les attendront pas… Ce sont les leur qui troubleront River Crow.
Ce n'est pas pour rien qu'on les appelle déjà les "Human Undead"…